dimanche 17 février 2008

DU SUPER NORMAL


Super normal est d’abord le titre d’une exposition qui s’est tenue pendant le Salon du Meuble de Milan 2007 , mais ce pourrait aussi bien être le nom d’une approche du design, dont Jasper Morrison serait le théoricien.
Ce qualificatif trouve son origine dans une discussion entre Takashi Okutani et Jasper Morrison, pendant l’édition 2005 de ce même salon, au sujet d’ustensiles de cuisine dessinés par Naoto Fukasawa, le directeur artistique de Muji. Morrison ne trouva d’autre mot que normal pour exprimer à quel point il les trouvait remarquables et Okutani ajouta...super normal.
La différence entre l’objet normal et l’objet super normal tiendrait à ce que ce que le premier serait le produit anonyme de l’histoire ,tandis que le second serait le fait d’un designer tentant consciemment de faire normal.

Si le mot est récent dans le vocable du designer, le concept quant à lui, trouve sa première expression, dès 1991 avec la publication d’un article intitulé The unimportance of form, dans lequel il exprime déjà son goût pour la beauté du trivial et du quotidien et développe une critique de l’approche esthétique du design et de la recherche d’originalité à tout prix. D’autres textes et articles aux titres éloquents, Immaculate Conception - Objects without Author 1996, Utilism vs. Uselessnism 2002, témoignent de son vif intérêt pour les objets utiles et sans ostentation.

Le super normal , si l’on s’appuie sur la sélection des 200 objets qui constituent l’exposition, réside dans l’adéquation de la forme à l’usage certes, mais aussi dans une certaine retenue formelle, dépouillée de toute ornementation, donnant aux objets une qualité iconique. Le thermomètre d’Empex Instruments (n° 89) par exemple, est l’archétype même de cette typologie d’objets.



Si tous les objets présentés dans l’exposition sont issus de l’industrie, ils conservent , selon Jasper Morrison, cette sensation de l’ordinaire que produisent les verres à vin soufflés à la bouche qu’il acheté à Paris pour quelques euros. “si j’utilise d’autres verres, j’ai l’impression qu’il manque quelquechose à l’atmosphère de la table” et “si je jette un coup d’oeil sur eux, posés sur l’étagère, ils dégagent quelquechose de bon”. Cette sensation n’est pas dûe à l’aura de l’objet unique façonnée à la main, dont parle Walter Benjamin dans L’Art à l’âge de la reproduction industrielle, mais à l’ adéquation de l‘objet normal ou super normal à la vie domestique, dont seraient dépourvus les objets design, plus adaptés pour occuper de la surface médiatique.

“Ce n’est pas que les vieux objets ne doivent pas être remplacés, ni que les nouveaux sont mauvais, mais juste que les objets qui sont dessinés pour attirer l’attention sont généralement insatisfaisants”
Jasper morrison
Super Normal
2006 


L’objet super normal tire sa qualité d’un refus de l’originalité au profit d’un respect de l’histoire longue qui a façonné sa typologie et s’expérimente comme tel dans son usage et son environnement d’élection. C’est pourquoi il ne privilégie pas la forme et corrolairement la vue, contrairement aux objets design.

“Nous designers, sommes coupables de promouvoir notre propre cause. Rien de plus naturel certes, mais peut-être pourrions nous apprendre et nous imprégner de cette mystérieuse qualité et naturalité que les objets anonymes ont souvent et qui manque si souvent a nos propositions plus réfléchies.”
Jasper Morrison
Immaculate Conception - Objects without Author 1996

Cette prééminence de la vue dans le design, Jasper Morrison l’attribue au narcissisme des designers qui recherchent leur propre promotion plutôt que le bien-être de l’utilisateur et se plient donc aux formats médiatiques en vigueur. Cette mise en accusation n’est d’ailleurs pas dirigée uniquement contre le design de galerie, mais aussi contre sa forme dégradée, à l’usage des masses. Il déplore que les formes promues par le design d’exception aient été récupérées par le marketing, et n’ont finalement rendues que plus visibles la pauvreté de finition des produits de faible coût.
Par l’utilisation de “la couleur, la forme et la surprise”, les designers embrassent la cause du marketing des marques commanditaires, qui recherchent cette même ostention, au travers de la publicité. Jasper Morrison voit dans cette nouvelle alliance entre designers et industriels, la crise de l’ideal de “servir l’industrie et les masses de consommateurs heureux dans un même temps en concevant des chose plus faciles à faire et plus faciles à vivre”. Il voit même cette connivence comme une maladie, propre à rendre rapidement notre environnement inhabitable et se demande comment enrayer cette contamination.

“le design rend les choses spéciales, et qui voudrait le normal quand on peut avoir le spécial?”
Jasper morrison
Super Normal
2006 

Cette critique du designer individualiste séduit autant qu’elle effraie. En témoigne l’article d’Anne-Marie Fevre dans le libération daté du 27 avril 2007, qui apprécie avec circonspection l’initiative de Fukasawa et Morrison:” s'ils proposent un tri salutaire, apaisant, le mot «normal» est toujours dérangeant. Et si c'est une norme qu'ils recréent, que de fermeture dans leur monde, d'élimination de tous les designers qui sortent précisément de l'ordinaire ! “

En finir avec la convention d’originalité, issue du monde l’art, induit t-elle une tentation totalitaire ou seulement une moralisation de la profession et une requalification des finalités spécifiques de la discipline?

sources:

Salon du meuble de Milan Schizo design Anne-Marie FEVRE Libération vendredi 27 avril 2007

Celebrating the beauty of 'super normal' little objects of daily life Alice Rawsthorn
International Herald Tribune du jeudi 19 septembre 2006

textes de Jasper Morrison
The unimportance of form 1991    Ottagono No. 100 
Immaculate Conception - Objects without Author 1996 Ottagono No. 118
Utilism vs. Uselessnism 2002 Everything but the Walls Lars Muller Publishers




http://www.jaspermorrison.com/html/index.html




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